Alors que les ministères de la Santé et de l’Enseignement supérieur ont lancé, lundi 20 octobre 2025, une concertation nationale visant à simplifier l’entrée en études de santé — avec pour ambition la création d’un modèle unique de première année —, le Sénat a adopté dans la soirée une proposition de loi allant dans la même direction. Porté par la sénatrice Corinne Imbert (LR), le texte prévoit de rétablir une voie unique d’accès aux filières santé, sous la forme d’une licence comportant, dès la première année, une majorité d’enseignements en santé. Autrement dit, la réforme marque la fin programmée du double dispositif PASS/LAS, instauré en 2020 pour remplacer la PACES, mais jugé trop complexe et inégalitaire.
Ce texte, adopté en première lecture, s’inscrit dans une refondation complète de la filière santé. Il répond aux critiques formulées depuis cinq ans par les doyens, les étudiants et la Cour des comptes, tout en traçant les contours d’un modèle plus lisible, équitable et cohérent pour les futurs professionnels de santé.
Vers la fin du système PASS/LAS
Une réforme qui clôt le cycle ouvert en 2019
Instaurés à la rentrée 2020 pour remplacer la PACES, les parcours PASS (Parcours d’Accès Spécifique Santé) et LAS (Licence Accès Santé) avaient pour ambition de diversifier les profils, d’humaniser les cursus et de limiter les échecs massifs du concours.
Mais cinq ans après, le constat est amer : selon la Cour des comptes (rapport 2024),
- seuls 37 % des étudiants réussissent à poursuivre sans redoublement,
- et les inégalités sociales et territoriales se sont creusées.
Les étudiants en LAS, notamment ceux issus de licences sans UFR santé, ont été les plus pénalisés, avec un taux d’accès aux filières MMOPK deux fois plus faible que les PASS.
Une voie unique pour plus de lisibilité
La proposition de loi prévoit donc la création d’une voie unique d’accès :
- une licence universitaire à dominante santé, intégrant une majorité d’enseignements médicaux et scientifiques, mais laissant place à un bloc disciplinaire complémentaire.
Ce nouveau modèle vise à :
- uniformiser les pratiques d’une université à l’autre (il existait jusqu’à 230 variantes de PASS et LAS) ;
- rétablir la cohérence nationale des critères d’admission ;
- et favoriser une orientation plus fluide entre santé, sciences et autres filières universitaires.
Chaque université devra ouvrir cette licence d’accès santé, accessible directement après le baccalauréat, sous l’égide du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Santé.
Une réforme inclusive : la kinésithérapie intégrée au dispositif
Autre changement majeur : la masso-kinésithérapie entre officiellement dans le périmètre de la voie unique. Cette mesure met fin à la mosaïque d’accès (PASS, LAS, STAPS ou biologie selon les régions) et harmonise les modalités de recrutement.
Une première année d’études de santé dans chaque département d’ici 2030
Aujourd’hui, 25 départements français ne disposent d’aucune première année d’accès aux études de santé.
Résultat : les étudiants issus de zones rurales ou éloignées doivent migrer vers les métropoles, avec des coûts et une pression logistique souvent dissuasifs.
Le texte prévoit donc une mesure inédite :
- chaque département devra disposer d’une première année d’études de santé d’ici 2030.
Un levier contre les déserts médicaux
Cette mesure s’appuie sur un constat documenté par l’Insee :
- 72 % des médecins généralistes s’installent dans la région où ils ont effectué leur internat ;
- et 1 médecin sur 2 exerce à moins de 85 km de sa commune de naissance.
Autrement dit : former localement, c’est soigner localement.
L’objectif est donc double :
- diversifier le recrutement géographique, en ouvrant la porte à des étudiants de milieux ruraux ;
- favoriser l’installation durable des futurs professionnels de santé dans leur région d’origine.
Des antennes universitaires à créer
Ce déploiement nécessitera une coopération renforcée entre universités, hôpitaux et collectivités locales. Le Sénat encourage le recours aux Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) existants, qui pourraient devenir les premiers relais universitaires dans les départements dépourvus de faculté de santé. Les universités devront transmettre un bilan annuel de réussite et de poursuite d’études pour chaque antenne créée.
Une expérimentation d’accès direct en pharmacie : un tournant historique
Le texte introduit une expérimentation sur cinq ans permettant à des bacheliers d’intégrer directement le premier cycle de pharmacie via Parcoursup, sans passer par la voie commune santé.
Pourquoi cette mesure ?
Depuis la réforme de 2019, la filière pharmacie souffre d’un déficit d’attractivité majeur :
- jusqu’à 28 % de places vacantes en 2021-2022,
- encore 14 % de places non pourvues en 2023, selon la Cour des comptes.
Les étudiants préfèrent se concentrer sur médecine ou odontologie, perçues comme plus prestigieuses. Résultat : la filière pharmaceutique s’affaiblit, alors même que la demande en pharmaciens augmente (recherche, hôpital, officine, biotechnologie).
Une sélection directe via Parcoursup
L’expérimentation prévoit qu’un tiers des capacités d’accueil en pharmacie puisse être attribué à des étudiants sélectionnés dès le lycée. Les critères d’admission devront garantir l’équité et la transparence.
Les universités participantes auront la possibilité d’adapter la maquette de première année autour d’enseignements mixtes :
- fondamentaux scientifiques (chimie, biologie, mathématiques),
- initiation aux sciences pharmaceutiques,
- modules d’orientation professionnelle.
Une filière à reconstruire
Le Sénat et la Conférence des doyens de facultés de pharmacie espèrent que cette réforme rétablira la visibilité et la valeur du métier. Elle s’inscrit dans un mouvement plus large de revalorisation du rôle du pharmacien comme acteur de santé publique, chercheur et innovateur.
Des options santé au lycée : un pont entre secondaire et supérieur
La réforme prévoit d’étendre à l’échelle nationale les “options santé” introduites par la loi Valletoux (2023). Jusqu’ici, ces options n’étaient expérimentées que dans trois académies pilotes (Bordeaux, Nancy-Metz et Toulouse-Montpellier).
Objectifs : préparer, diversifier, inspirer
Ces modules permettront :
- de mieux informer les lycéens sur les études et métiers de santé ;
- de favoriser la diversité sociale et territoriale des candidats ;
- et de réduire l’autocensure de nombreux élèves issus de zones rurales ou de milieux modestes.
Les cours seront composés :
- à 75 % de renforcements scientifiques (maths, biologie, physique-chimie) ;
- et à 25 % d’interventions de professionnels de santé, d’étudiants ou d’universitaires (visites, conférences, ateliers).
Un enjeu d’équité éducative
L’accès aux études de santé reste marqué par des biais sociaux persistants :
- selon la DREES, 40 % des étudiants en médecine ont au moins un parent cadre ou exerçant une profession intellectuelle supérieure.
En généralisant les options santé, le gouvernement espère ouvrir la filière médicale à des profils plus variés et rétablir une égalité des chances dès le lycée.
Territorialiser les internats et stages : un choix stratégique et politique
L’un des volets les plus débattus de la réforme est la “territorialisation des internats”. D’ici la rentrée 2027, deux tiers des étudiants en médecine devront effectuer leur internat dans la région où ils ont validé leur deuxième cycle.
Objectif : stabiliser la démographie médicale
Cette mesure vise à renforcer la fidélisation régionale des jeunes médecins. En alignant la formation sur les besoins locaux, le Sénat espère mieux répartir l’offre de soins et freiner la concentration des médecins dans les grandes métropoles.
Des inquiétudes étudiantes
L’ANEMF (Association nationale des étudiants en médecine de France) alerte toutefois sur une “coercition déguisée” :
“Imposer un territoire d’internat n’est pas une solution structurelle à la pénurie médicale. Cela risque d’ajouter de la contrainte là où il faudrait de l’attractivité.”
Le gouvernement assure que le dispositif restera souple et concerté, avec des ajustements selon les spécialités et les capacités locales.
Un diagnostic sans appel : la réforme 2019 n’a pas tenu ses promesses
Le rapport sénatorial de 2025 et la Cour des comptes dressent un bilan sévère du dispositif PASS/LAS.
Parmi les constats clés :
Une hétérogénéité totale
Chaque université a appliqué la réforme à sa manière :
- certaines ont coexistant PASS et LAS,
- d’autres ont adopté un modèle “tout LAS”,
- les critères de sélection et les coefficients varient d’un campus à l’autre.
Résultat : aucune lisibilité nationale, ni pour les lycéens, ni pour les familles.
Une diversification des profils en échec
La réforme visait à ouvrir la voie à des étudiants issus d’autres disciplines, mais les chiffres montrent l’inverse :
- les PASS concentrent toujours 75 % des admis ;
- les LAS issues de droit, psycho ou lettres affichent des taux de réussite inférieurs à 10 %.
Un recours massif aux prépas privées
Malgré la volonté de démocratisation, plus de 60 % des étudiants admis dans les filières MMOP ont suivi une prépa privée. Les disparités locales entre tutorats et universités ont amplifié ce phénomène.
- de revoir les bases scientifiques essentielles,
- d’intégrer des réflexes de mémorisation active,
- de préparer Parcoursup et les dossiers,
- de sécuriser l’entrée dans la filière choisie.
Une fuite vers l’étranger
Près de 8 000 étudiants français poursuivent aujourd’hui leurs études médicales ou paramédicales à l’étranger. Ce chiffre a doublé depuis 2020, signe que le modèle national n’inspire plus confiance.
Une réforme ambitieuse, mais encore pleine d’inconnues
Les atouts
- Un cadre national unifié et plus lisible ;
- Une meilleure répartition territoriale ;
- Une diversification réelle des parcours d’accès ;
- Une volonté de réconcilier excellence et équité.
Les limites
- Une mise en œuvre lourde pour les universités (infrastructures, enseignants, bilans annuels) ;
- Des zones d’ombre financières sur le financement des antennes départementales ;
- Une transition délicate pour les étudiants actuellement en PASS/LAS.
Le succès de cette réforme dépendra d’un pilotage rigoureux et d’une concertation réelle entre ministères, universités et acteurs du terrain.
Le point de vue de Diploma Santé
Chez Diploma Santé, nous partageons le constat qu’il faut revenir à un modèle de formation cohérent, progressif et scientifiquement solide. Mais au-delà des ajustements administratifs, nous pensons qu’il faut repenser la logique même du cursus.
« Le modèle le plus sain et le plus logique reste celui des LSPS : une licence scientifique sur trois ans, avec un concours progressif et des bases renforcées », expliquent nos directeurs.
Une progression naturelle et cohérente
Dans cette approche, le concours s’étend sur trois ans. À la fin de chaque année, un quota d’étudiants intègre les filières de santé selon leurs résultats. Les enseignements de L2 et L3 prolongent les notions vues en L1, permettant une maîtrise complète des fondamentaux scientifiques.
Une licence à double vocation : santé et sciences du futur
L’idée serait de proposer un cursus mixte, combinant :
- un tronc commun santé (biologie, physiologie, anatomie, biochimie) ;
- et des enseignements scientifiques et technologiques (biotechnologies, IA, data science, informatique médicale).
Ainsi, ceux qui n’obtiennent pas le concours sortiraient avec une licence scientifique solide, ouvrant la voie à :
- des masters en biotechnologies, ingénierie biomédicale ou IA appliquée à la santé ;
- ou des poursuites d’études dans les écoles d’ingénieurs.
« C’est un modèle gagnant-gagnant : il forme les médecins 3.0 dont la société a besoin, tout en garantissant un avenir de qualité à ceux qui réorientent leur parcours. »
Une vraie valorisation des matières scientifiques
Diploma Santé défend le retour à des bases scientifiques solides, avec un vrai renforcement des matières fondamentales — mathématiques, physique, chimie et SVT —, mais aussi une logique de spécialisation progressive selon la filière visée. L’idée n’est pas de tout uniformiser, mais de replacer les matières scientifiques au cœur de la sélection, en les pondérant différemment selon les métiers de santé. Exemple :
- Chimie coefficient 10 pour médecine ou pharmacie ;
- Coefficient 2 pour kiné ou sage-femme.
À cette logique de pondération s’ajouterait le retour de “matières de spécialité” : Spé Médecine, Spé Dentaire, Spé Pharmacie, Spé Kiné, etc. Chaque étudiant pourrait choisir une ou plusieurs matières de spécialité en fonction de la filière qu’il vise. Ces matières seraient évaluées et intégrées au classement par filière, avec des coefficients spécifiques :
- La Spé Pharmacie aurait par exemple le plus gros coefficient pour la filière Pharmacie, mais la chimie conserverait aussi un poids fort dans ce classement.
- À l’inverse, la filière Kiné valoriserait davantage les matières biologiques et anatomiques, où la chimie aurait moins d’importance.
Ce système permettrait :
- une vraie orientation active selon les affinités et les projets de chacun ;
- une meilleure adéquation entre profil et filière ;
- et la fin des réorientations subies vers des parcours non désirés.
En somme, un modèle plus juste, plus cohérent et plus exigeant, qui rétablit la culture scientifique sans sacrifier la liberté de choix des étudiants.
Une ouverture vers les filières paramédicales
Enfin, le futur modèle devrait inclure des quotas d’accès aux filières paramédicales (audioprothésiste, orthoptiste, orthophoniste, ergothérapeute…), afin de construire une véritable continuité du champ santé.
Cette réforme ouvre la voie à une simplification attendue, mais elle devra s’appuyer sur une vision cohérente et ambitieuse des parcours de formation. Pour Diploma Santé, l’enjeu n’est pas seulement de réformer l’accès aux études de santé, mais de reconstruire un continuum scientifique solide — du lycée à la professionnalisation — au service d’une génération de médecins, pharmaciens, kinés et ingénieurs biomédicaux mieux préparés aux défis de demain.
Sources
- Public Sénat, Formations en santé : que propose le texte, dont l’examen en séance publique débute aujourd’hui ?, 20 octobre 2025.
- Sénat, Rapport n° 35 (2025-2026) de la commission des affaires sociales.
- Assemblée nationale, Proposition de loi n° 868 relative aux formations en santé, 30 juillet 2025.
- Égora, Refonte de l’accès aux études de santé : une proposition de loi validée, 21 octobre 2025.
- Cour des comptes, Rapport sur les études de santé et la mise en œuvre de la réforme 2019, décembre 2024.